Ce billet s’inscrit dans la série annoncée cet été.
Chaque fois que je parle des médias sociaux avec des municipalités, MRC ou autres acteurs engagés en sécurité civile tant dans le public que dans le privé, ils réalisent combien ceux-ci permettent une vitesse d’exécution, une efficacité de communication. Cependant, quand j’ajoute qu’avec les technologies mobiles il est possible de procéder à du géo-référencement et à de la géo-localisation en situation d’urgence, ils me disent «Ouf, ça va trop vite, je ne suis pas rendu là !» Je les comprends! Ça fait beaucoup de nouveaux outils à intégrer et à utiliser. Tout comme pour mon entraînement de jogging, je prône davantage pour la philosophie des petits pas : un peu, régulièrement afin de franchir la ligne d’arrivée sans blessure ni mal au cœur.
Lorsqu’il s’agit de médias sociaux en gestion des urgences, le web anglo nous offre une multitude de textes, de références, de sites, sur les sujets abordés. En effet, je vous invite à lancer une recherche avec ces mots «crisimapping», «crowdsourcing» et une manne d’information en sortira. Sur Twitter, vous pouvez entre autres, suivre: @PatrickMeier (reconnu internationalement comme un leader dans l’application des technologies mobiles pour les alertes rapides. Il est le directeur du «Crisis Mapping» chez @Ushahidi (une compagnie sans but lucratif spécialisée dans le développement de logiciel gratuit pour la collecte d’information, la visualisation et les cartes interactives). La seule ombre au tableau pour nous, Québécois francophones, ces références ne sont qu’en anglais. Bien que le niveau de notre langue seconde puisse être relativement bon, il n’en demeure pas moins que le sujet est trop important et technique pour prendre le risque de ne pas l’interpréter à sa juste valeur.
C’est pourquoi je voulais trouver une ressource spécialisée et francophone qui puisse nous éclairer sur le sujet. J’ai eu la chance de cogner à la bonne porte, celle de mon collaborateur spécial : Stéphane Roche, chercheur et professeur en géo spatial (principalement de maitrise et de doctorat) à l’Université Laval. Stéphane se promène partout sur le Globe dans le cadre de ses recherches et offre des conférences. C’est donc un honneur pour moi qu’il ait accepté de participer à ce billet.
Q. Stéphane, sur quoi portent tes travaux de recherche exactement?
R. Mes travaux portent sur deux entrées principales. La première consiste à concevoir et à développer des solutions géospatiales innovantes pour supporter le travail géocollaboratif (Géoweb participatif, Surface Mapping, WikiGIS…), en particulier dans le domaine du Geodesign. La seconde porte sur la l’étude de la production, des usages et du potentiel de l’information géographique volontaire (VGI) : contenus générés par les usagers, ‘check in’ produits par les médias et réseaux sociaux géolocalisés (Foursquare, Twitter, Facebook…), geocrowdsoucing… Je m’intéresse en particulier à la problématique de qualification de ce type de données (comment peut-on en évaluer la qualité et la valeur, et comment peut-on en informer les usagers). Ces questions me semblent particulièrement pertinentes dans des domaines comme la gestion des villes intelligentes et plus particulièrement les transports intelligents et la sécurité civile.
Q. Justement, quels liens fais-tu avec les mesures d’urgence, les catastrophes?
R. Précisément la force de ces données géographiques volontaires reposent sur leur vélocité, la rapidité avec laquelle elles sont produites et se diffusent à travers les réseaux. Elles apportent des réponses quasi-instantanées aux questions centrales du Qui?, Quoi?, Où? et Quand? Or précisément, au moins dans les phases de gestion de l’urgence, lorsque l’évènement ou la crise se produit, la capacité à identifier et à réagir rapidement est essentielle. Bien souvent les voies classiques de communication ne sont pas en mesure de répondre assez rapidement.
Q. Pourquoi l’utilisation de la technologie mobile (téléphone intelligent, tablette) joue-t-elle un rôle important dans de telles circonstances?
R. Précisément parce qu’elle place chaque individu dans une position potentielle de capteur-émetteur quasi-instantané d’une information contextualisée et géolocalisée (c’est la convergence technologique du wifi et/ou 3G, GPS, photo, vidéo, texte… qui donne à ces technologies tout leur potentiel). Sur le plan purement technique, les réseaux cellulaires sont souvent les derniers à tomber… Pour autant, ces données produites par les usagers sont extrêmement bruitées et en extraire du sens (y compris une localisation précise) n’est pas une opération simple. Le site Scipionus lancé en 2005 lors des inondations à la Nouvelle-Orléans, fut sans doute la première démonstration probante. Il fut conçu pour répondre à une question assez simple, mais à laquelle les services de sécurité civile et les autorités étaient incapables de faire face. Où se trouvent les membres de ma famille, mes amis? Y-a-t-il des personnes isolées à tel endroit? Scipionus reposait simplement sur une plateforme web permettant à chacun (via des messages textes ou appels téléphoniques) de fournir une information localisée sur la présence
de telle ou telle personne. La localisation des individus et le maintien du lien social sont deux des tâches importantes en situation d’urgence. Mais au delà de l’image statique, la mobilisation des citoyens-capteurs offre aussi la possibilité de suivre les évolutions d’une situation d’urgence (comme ce fut le cas à l’occasion des incendies majeurs qu’à connu la région de Santa-Barbara en 2008 et 2009).
Q. Quels sont les outils actuellement disponibles pour le géo-référencement et la géo-localisation (Foursquare, Google finder, Ushahidi, etc.)? Et comment fonctionnent-ils?
R. Au risque de caricaturer, je dirais qu’il existe, d’une part, des services et plateformes développés précisément pour apporter une solution à la gestion des crises et des mesures d’urgence. C’est le cas de Ushahidi ou encore de la solution Crisismapper de ESRI par exemple. Ces plateformes sont largement inspirées de Scipionus. Elles reposent sur deux composantes : la composante utilisateur permet aux individus de diffuser et de partager une information géolocalisée en temps quasi-réel à partir de leur smartphone, cellulaire ou autre PDA (assistant personnel) à l’aide d’une application ou d’un service web. La composante de gestion offre aux gestionnaires des mesures d’urgence des outils de paramétrages, d’analyse et de communication…
Il existe, d’autre part, les médias et réseaux sociaux géolocalisés ainsi que les plateformes de crowdsourcing comme Open Street Map Google Map Maker ou encore Wikimapia par exemple, lesquelles sont plus généralistes. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient dénuées d’intérêt pour la gestion des mesures d’urgence. L’exemple Haïtien est particulièrement éclairant sur le potentiel des démarches de cartographie communautaire à apporter une réponse rapide, fiable et peu couteuse. En quelques jours seulement, alors que la capacité institutionnelle avait été balayée par le séisme (2010), la communauté Open Street Map a doté Haïti d’une cartographie nécessaire au déploiement des secours et au processus de reconstruction. Pour plus de détails je vous invite à parcourir cet article.
Q. Comme Ushahidi n’est qu’en anglais, existe-t-il un penchant en français?
R. À ma connaissance non, mais cette plateforme est un peu l’auberge espagnole. Je veux dire que son intérêt est la possibilité qu’elle offre de la décliner selon le contexte et la nature de l’évènement.
Q. Pour une organisation qui a un rôle à jouer en mesures d’urgence et qui souhaiterait avancer dans cette direction, quel serait le premier pas à franchir sans trop de difficulté?
R. Plusieurs pistes, de la plus simple à la plus complexes, sont envisageables pour une administration locale, mais toutes requièrent en amont de communiquer et de sensibiliser les citoyens. Cela peut débuter par l’invitation lancée aux citoyens de « texter » en situation d’urgence (vers un numéro désigné) en indiquant le lieu, la nature de l’évènement, les personnes impliquées, un peu comme les initiatives de type info-trafic. Sur le même principe on peut imaginer une solution assez simple mobilisant Twitter et invitant la population a twitter vers une adresse institutionnelle (@urgencequebec) en utilisant des hashtags prédéfinis (#tempête; #verglas…) et soit la géolocalisation explicite, soit une indication dans le texte du tweet (adresse).
Q. Est-ce possible de prévoir ces outils en phase de prévention, i-e. avant que la prochaine urgence ne survienne?
R. La communication et sensibilisation en amont est centrale pour que le jour venu, ce type de solution soit efficace (car en effet, leur potentiel dépend beaucoup des utilisateurs, de leur capacité à diffuser des informations les plus précises possibles). Évidemment je parle ici de solutions initiées et encadrées par les autorités compétentes. Il reste qu’une grande part de ces informations volontaires échappe à tout encadrement. Pour autant, elles peuvent s’avérer pertinente, en particulier au niveau de la prévention et de la détection précoce d’une
situation de crise. L’enjeu consiste précisément ici à développer des moyens d’explorer les grandes masses de données issues des réseaux et médias sociaux par exemple et d’identifier des signes, des sortes de « warning » qui aideraient les autorités compétentes à mettre le focus sur un lieu, sur un évènement… j’aime bien l’idée de considérer Twitter par exemple comme une sorte de lampe torche, de ‘Twitlight’, permettant de donner un coup de projecteur géographique et/ou thématique. Car en effet la difficulté consiste souvent à savoir où et quoi chercher, de réduire le champ des possibles…
Q. Quel serait le risque de ne pas inclure ces façons de faire?
R. Le principale à mon avis est de se priver d’un moyen de contact et de communication aujourd’hui incontournable. Un exemple illustre mes propos. J’avais il y a quelques semaines de cela une rencontre avec des représentants des services de police de la ville de Melbourne en Australie. Nous discutions de l’intérêt des réseaux de capteurs et de la montée en charge du concept de ville intelligente, de sa pertinence dans le domaine de la gestion des urgences en particulier. Ils me disaient que quand bien même ils déploieraient des caméras et autres capteurs de manière régulière sur le territoire de la ville, jamais ils n’auraient les moyens d’assurer un contrôle systématique des informations produites. Les réseaux et médias sociaux pour peu que l’on se dote des outils adaptés offrent des moyens de circonscrire un
évènement potentiel et une piste pour analyser plus précisément les données de surveillance
Merci Stéphane! Personnellement, tes propos m’ont beaucoup éclairé et je suis persuadée qu’il en est de même pour plusieurs lecteurs. Ils confirment d’autant plus ma pensée et la réalité dans laquelle nous vivons plus que jamais : le citoyen acteur et non plus spectateur des événements et des urgences. Quoi qu’on en dise, toute organisation publique qui souhaite utiliser et inciter ses citoyens à utiliser ces outils, a intérêt à les inclure dans un plan de communication. Car sans sensibilisation et objectif précis, ce sera peine perdue.
Constater l’existence de ces outils, nous fait réaliser que nous avons du chemin à faire…et trop attendre, nous rendra la route longue et difficile. Qu’en pensez-vous? Ce billet vous a-t-il éclairé autant que moi?
Pour suivre Stéphane sur Twitter à @geodoc31