Par Guylaine Maltais, en collaboration spéciale avec Valérie Céré, Inf., M.A. Anthropologue du désastre
L’année 2012, a pris fin sur une profonde note de tristesse avec la tragédie de Newtown. Tel que mentionné dans mon dernier billet, je reviens cette fois avec l’importance du premier point de presse en situation d’urgence/de crise. Je vous ferai aussi part de mon point de vue (certainement pas juste le mien!) sur les entrevues réalisées auprès d’enfants survivants ou plus largement, auprès tout type de victimes collatérales. En effet, trop d’exemples existent mais Sandy Hook a réveillé ce sujet très chaud.
AVERTISSEMENT! À mes amis journalistes ainsi qu’à toutes autres personnes évoluant dans l’univers médiatique, mes propos risquent de vous choquer. Les plus proches comprendront en raison des longues discussions ayant eu ensemble sur ce thème. Si vous décidez de faire des commentaires, merci de demeurer courtois sans utiliser de langage agressif.
Le premier point de presse: mettre la table
Qu’il s’agisse d’une situation d’urgence de type sécurité civile ou d’une tragédie comme celle de Newtown, l’une et l’autre se caractérisent souvent (toujours) par une grande présence d’incertitudes. Ces situations sont extrêmement évolutives et bien qu’il soit fort possible que les informations entrent au compte-goutte, les autorités se doivent d’affronter la presse et maintenant, les réseaux sociaux, sans avoir toutes les réponses aux questions potentielles. Il s’agit là, d’un concept de la communication de risque favorisé par plusieurs auteurs (Raymond Anthony, Thinker, Zook et all auquel j’adhère également depuis longtemps. Ce concept, le Lieutenant J.Paul Vance et son équipe de la Police de l’État du Connecticut, l’ont bien saisie, lors des deux premiers points de presse après les événements de Newtown :
Le premier sert à dire ce que l’on sait et mettre la table pour la suite des choses car une série de rencontres médiatiques sera nécessaire. Premier point de presse
Lors du deuxième ou, si possible avant, on peut affirmer que nous ne pourront pas tout dire ainsi qu’il sera impossible de répondre à l’ensemble des questions, consistant ainsi à focaliser sur ce qui peut être dit à ce moment précis.
Mais entre vous et moi, jusqu’à quel point avons-nous besoin de tout savoir? Je suis une défenderesse du droit à l’information, évoluant en communication de risque depuis plus de 10 ans, j’ai toujours considéré que la population avait le droit de savoir et qu’elle devait être impliquée et engagée dans les processus de gestion d’urgence. Mais dans un cas comme celui de Newtown, jusqu’où doit-on aller avec ce droit à l’information? Les médias en donne parce que le Monde veut savoir ou le Monde veut savoir parce que les médias en donne toujours plus? La poule ou l’œuf?
Après l’impact vient l’état de stupeur
Quelques heures après la fusillade de Newtown, j‘étais stupéfaite de voir une journaliste, tel un vautour satisfait d’avoir agrippé sa proie, faire une entrevue avec une enfant s’en étant sortie «indemne». Bien qu’elle fut accompagnée de sa mère, celle-ci ainsi que la petite étaient en état de choc, après les événements qu’elles venaient de vivre. On pouvait voir à l’expression des témoins qu’ils repassaient en boucle dans leur tête les images traumatisantes auxquelles ils ont été témoins. Leur regard hagard en disant long. Si la poussière avait eu le temps de retomber, cette mère n’aurait sans doute jamais permis à sa fille d’accorder cette entrevue. Peut-on vraiment assumer le consentement éclairé du parent dans ce cas? Était-elle à même de comprendre ce que le journaliste demandait et pouvait-elle vraiment saisir l’impact que cela aurait sur son enfant?
Dans le cas de traumatismes importants, le premier récit des faits se fait normalement à un policier ou à une personne formée en relation d’aide pour bien encadrer la réminiscence d’images horribles et qui dépassent ce que notre conscient est à même de « digérer », d’absorber de manière habituelle. Raconter un tel drame, et encore plus chez des enfants, demande un doigté, mais aussi une formation solide afin d’éviter de créer un traumatisme secondaire. Est-ce que le journaliste moyen est à même de remplir cette fonction?
On comprendra alors que lorsqu’un garçon décrit la scène au souhait du journaliste, poussant même jusqu’à lui demander de décrire ce qu’il avait entendu, cet enfant doit revivre le drame pour servir les fins du journaliste qui veut rapporter une nouvelle Il ne faut surtout pas oublier que ces enfants risqueront de passer de nombreuses années de leur vie à consulter afin de pouvoir un jour espérer guérir de ce qu’ils n’auraient jamais dû être témoin! On les appelle les victimes collatérales. Celles qui devront «vivre avec» le souvenir et toutes les émotions qui leur colleront dessus pour trop longtemps et auront très certainement à vivre avec un stress post-traumatique qui les marqueront toute leur vie.
Est-ce toujours le droit à l’information? Est-ce vraiment dans ce genre de société que nous choisissons de vivre? Les médias se nourissent-ils vraiment du malheur profond que peuvent vivrent certaines personnes? Croyez-vous vraiment que ces victimes cherchent leur minute de gloire à ce point? L’événement devient pour nous un désastre, non par sa violence ou son intensité, mais par la conscientisation de notre vulnérabilité face à celui-ci. Ce drame à Newtown devient donc un désastre pour la société. Mais de quelle manière doit-on traiter cette nouvelle? Comment informer de manière professionnelle, efficace et surtout éthique?
Se mettre à la place de ceux qui restent
Quel journaliste aimerait voir une photo de sa mère, pied nus en plein janvier au Québec, couverture de la Croix-Rouge sur le dos? Quel patron de boîte média apprécierait voir et entendre en entrevue son petit-fils en état de choc? Jusqu’où donc va le droit de savoir?
Une petite communauté tissée serré, qu’elle soit aux États-Unis, au Québec ou ailleurs dans le monde, vit aussi un choc lorsqu’elle voit débarquer chez elle des dizaines, voire des centaines d’antennes, de camion Micro-onde accompagnés d’autant de journalistes. Lorsque ce beau monde repart, les citoyens, touchés de près ou de loin, retrouvent leur tranquillité, mais avec quel sentiment? Une fois le «spectacle» terminé, la peine, la douleur et souvent, le trauma demeure. Qui s’en préoccupe? Sans parler du risque de trauma potentiel de tous ces hommes et ces femmes, policiers, ambulanciers, pompiers, dont le devoir appela à intervenir sur la scène? Qui s’en préoccupe?
Protégeons les victimes collatérales
Grâce au processus de protection des familles mis en place à Newtown, plusieurs familles ont été épargnées des médias, obligeant ces derniers à quitter car ils ne parvenaient plus à faire d’entrevues.
Et si nous mettions en place ces processus directement dans nos plans d’urgence municipaux ou gouvernementaux? Par exemple, après le tremblement de terre qui frappa Haïti en janvier 2010, je travaillais pour le Gouvernement du Québec et nous étions en charge du rapatriement des Canadiens. Mentionnons que ces personnes, rentrant du Sud avaient presque tous les pieds nus et portaient une couverture de la Croix-Rouge sur le dos. Quand on parle de la protection des victimes, cela veut aussi dire, de protéger leur intégrité. Services Québec avait mis en place un processus pour épargner les journalistes aux ressortissants. Pour sortir de l’Hôtel, lieu d’accueil, des portes spécifiques étaient désignées pour les entrevues médias. Les gens qui franchissaient ces portes, le faisaient en toute connaissance de cause. Cela leur avait été expliqué. Il n’en demeure pas moins que malgré toutes les précautions prises, des photographes parvinrent à prendre des clichés alors que nous les croyions éclipsés.
Ces situations relevant déjà souvent de l’incroyable, du terrible et de la douleur, serait-il utopique de penser qu’avec les événements de Sandy Hook, qu’en 2013 et désormais, nous puissions voir plus de compassion de la part des journalistes et de leurs grands patrons? Savoir se mettre à la place de ceux qui vivent la situation d’urgence, le drame ou la crise, pourrait faire une différence dans la vie de ceux qui reste. Et si nous avions le réflexe de protéger automatiquement ce type de victimes?
Un grand merci à Valérie Céré pour sa contribution spéciale!
Références :
CÉRÉ, Valérie, 2012, « Les construits sociaux du désastre en région isolée : le cas de Blanc-Sablon », mémoire de maîtrise en anthropologie, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 127 pages.
CÉRÉ, Valérie, 2009, « Le rôle des média lors de désastres naturels », recherche de séminaire de maîtrise « Culture populaire et média », Université Laval, 20 pages.
SOUCAILLE Alexandre, 2008, « La perception du désastre : synthèse », L’expression du désastre : entre épuisement et création, Archives Audiovisuelles de la Recherche, Première partie : matinée du 23 septembre 2008, durée : 13:27.
http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?id=1564&ress=4957&video=115323&format=68